LA TACHE - Philip Roth
Cherchant
à tout prix à fuir le ghetto noir de son enfance où il a vu son père humilié et
méprisé au quotidien, Coleman Silk a bâti sa vie sur un mensonge. Car bien
qu'issu d'une famille noire, Coleman a la peau claire, un physique plutôt
Caucasien, et va donc pouvoir se construire une nouvelle identité de blanc et
plus précisément de juif américain. Doyen
de son université, Coleman est brillant, respecté, craint, aimé de tous
jusqu'au jour où il est accusé, à tort, d'injures racistes, par deux de ses
élèves. Sa vie bascule. Il
lui suffirait pourtant, afin de se sortir de l'engrenage (merveilleusement bien
écrit) dans lequel il s'engouffre, de révéler sa véritable identité mais un tel
aveu lui est impossible car le scandale n'en serait que plus important. En
effet, personne autour de lui ne sait qu'il est "noir".
Selon
moi, et comme la majorité des livres de Philip Roth ("J'ai épousé un
communiste", "Pastorale Américaine" etc.), La tâche n'est pas un
roman mais une véritable analyse d'un pays et d'un peuple. En effet, l'histoire
se passe dans les grands bouleversements de l'Amérique de Bill Clinton en
pleine affaire Lewinsky, en pleine crise de "purification". Ici,
l'auteur se bat et prend clairement position contre les biens pensants, les
moralistes et les puritains, dont les discours sont encore parfois d'actualité.
Mais
ce livre traite surtout de l'intolérance raciale et sociale. Philip Roth y pose
également le problème, encore palpable aujourd'hui, du traumatisme de la guerre
du Vietnam qui semble ancré en chacun des personnages du livre (sensés
représenter la société Américaine).
En
ce qui concerne le style d'écriture de Philip Roth, plutôt
"anarchique" et décousu, je dirai que "La tâche" n'est pas
un livre que l'on lit "pour se détendre". En effet, sa lecture
requiert beaucoup de concentration car elle repose essentiellement sur des
flash-back et changements de point de vue. Je vous invite cependant à le lire
et à découvrir ce brillant auteur si vous ne le connaissez pas encore car, avec
un style particulier, un humour très sarcastique qui lui est propre, Philip
Roth soulève de vrais problèmes de fond, qui sont encore malheureusement
d'actualité, aux Etats-Unis et ailleurs...
Mon passage préféré : "Il a cessé de lire en entendant à la radio les
premières mesures de "Bewitched and Bewilded" chanté par Sinatra.
"Il faut que je danse, dit-il, vous dansez?". Je me suis mis à rire.
Non, ce n'était plus le héros vengeur, le personnage féroce, amer, en état de
siège, qui avait pris la vie en aversion parce qu'elle l'avait rendu fou. Ce
n'était même pas un autre homme, c'était une autre âme. Une âme de gamin en
plus. Entre la lettre de Steena et le fait de le voir torse nu, j'avais une
représentation éclatante de ce que Coleman Silk avait été jadis. Avant de
devenir doyen de choc, puis docte professeur de lettres classiques, il avait
été, outre un garçon studieux, un garçon charmant, un séducteur. Plein d'élan.
Espiègle. Un diablotin, même, un faune, un chèvre-pied au nez retroussé. Jadis,
avant que les choses sérieuses ne prennent le pouvoir dans sa vie".
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